Oubliez Astro Le petit robot, Le Roi Leo ou Princesse Saphir. Pour ceux qui croyaient encore qu'Osamu Tezuka pouvait être réduit à un Disney japonais, Delcourt réédite en un seul volume l'intégrale de MW un thriller terrifiant et terriblement ambigu. Sans aucun doute sa création la plus noire et la plus violente.
Les années 70 ne sont pas la période la plus lumineuse de l'œuvre de Tezuka qui enchaine les publications du drame désespéré Ayako, la réflexion sur l'artiste maudit Barbara, avant de passer à cet étonnant MW, pré-publié de 76 à 78 dans les pages de la revue pour adulte Big Comic. Et le volume réédité aujourd'hui dans un seul et unique volume à couverture solide et dans le sens de lecteurs japonais (ce qui n'était pas le cas chez Tonkam), n'est pas à mettre dans les mains des plus jeunes pour leur faire découvrir la magie du manga. En l'occurrence, MW est le récit de deux amants, Garai et Yuki. L'un est un prêtre catholique, l'autre un serial killer dissimulé sous les traits charmants d'un employé de banque. Si déjà traité ainsi frontalement l'homosexualité, sans qui plus est en juger la nature, était particulièrement osé au Japon à cette époque, Tezuka rend l'ensemble plus torturé, plus flou, en brouillant constamment les limites morales. Le prêtre Garai, hanté par sa propre culpabilité, est celui qui a, adolescent « initié » un très jeune Yuki à la sexualité, tandis que ce dernier, au visage d'ange, use de sa bisexualité et de ses talents de transformiste, comme une arme mortelle.
Le premier ne peut dénoncer le second à la police sous peine de transgresser le secret de la confession ; le second est un assassin sadique, mais devenu schizophrène à la suite d'une affaire d'état qu'il tente de révéler au grand public tout en éliminant un par un les responsables. Une bande dessiné complexe, opaque, qui prend très souvent à rebrousse poil le lecteur en malmenant constamment les personnages, innocents ou pas... Enfin, excepté Yuki qui lui semble intouchable. L'habilité de l'écriture qui impacte puissamment la psyché des personnages, se retrouve aussi dans la manière naturelle qu'il a de mêler peu à peu les codes du thriller psychologique à une évocation toute aussi vive et profonde des troubles politiques contemporains. En l'occurrence un Japon alors perturbé par des revendications légitimes des partis de gauche, une succession d'affaires financières et une occupation américaine qui ressemble de plus en plus à une invasion économique et idéologique. Le fameux gaz du récit, le MW, arme biologique qui a provoqué la mort de l'intégralité des habitant d'une ile, est présenté justement comme un symbole de cette collaboration entre les dirigeants nippons, les industriels et l'armée US, le plus souvent au dépend des populations. Une œuvre vraiment fascinante, illustrée avec l'énergie et la vivacité habituelle du maître, qui n'hésite jamais à frapper fort avec une violence graphique et directe, assez rare chez Tezuka, mais toujours au service d'un rythme haletant, d'une tension exponentielle et d'une narration stupéfiante d'équivoque. De par ses thèmes, sa mise en image et son efficacité, MW est d'une terrible modernité.


MW © 2015 by TEZUKA PRODUCTIONS