En 1976, deux ans après le colossal succès d'Emmanuelle (qui fit, rappelons-le, près de 9 millions d'entrées), l'érotique arty a encore le vent en poupe. Et par conséquent des producteurs prêts à se lancer dans des projets improbables. Ainsi, Bernard Lanteric (l'auteur de La Nuit des enfants rois) propose à l'artiste iconoclaste et protéiforme Charles Matton de réaliser un film érotique pour lequel il aurait un budget confortable et la plus grande des libertés. Quatre ans après le magnifique et intimiste L'Italien des roses, Matton se lance donc dans ce long métrage au titre presque surréaliste : "Amour est un fleuve en Russie..."
Mais de ce titre, il ne reste qu'une réplique. Horrifiés par un résultat beaucoup trop intello (et pas du tout assez porno), les producteurs et distributeurs décideront de renommer le film Spermula, du nom de la grande chef des extraterrestres venues dans une bourgade bourgeoise prélever la semence des hommes pour les empêcher de procréer, et ainsi dominer le monde. La promo sera orientée uniquement sur le côté sexy et sulfureux du film. En témoigne la tagline 100% classe de l'affiche, presque plus connue que le film lui-même : « Certaines femmes vampires ne se nourrissent pas de sang ». Tout un programme....
Sauf que non, en fait. Parce que ce qui semble amuser Matton, c'est de générer une frustration. Le spectateur venu se rincer l'œil sera systématiquement déçu, baladé entre scène glauque (le maire et sa femme) et coupes de montage malvenues en forme de coitus interruptus. De plus, le réalisateur, décidément provocateur et avant-gardiste, déjoue les codes du porno en refusant de jouer le jeu de la virilité outrancière. Ici les hommes sont impuissants ou soumis (le juvénile Udo Kier en tête). Et les femmes mènent la barque, aspirant (via des fellations « magiques ») la force vitale des hommes et jetant par la même un sort à l'humanité. Une approche féministe réjouissante et tout à fait singulière pour l'époque.
Cette porte d'entrée militante permet à Matton de passer gaiement d'un registre à l'autre avec une grande liberté : la science-fiction bien sûr, mais aussi la bluette ou la comédie de moeurs paillarde (le clergé et la petite bourgeoisie en prennent pour leur grade dans une ambiance de Chabrol sous acide). C'est une des qualités du film, mais aussi sa limite. Les différents niveaux de tons s'enchevêtrent de manière anarchique au sein d'un script très bancal. C'est d'abord très amusant, puis rapidement pesant. L'erreur de Matton fut peut-être de vouloir contrôler de A à Z un film sur lequel on lui a donné une très grande liberté financière et artistique. Cette liberté a néanmoins du bon et lui permet de concevoir quelques séquences superbes, servies par un vrai sens du cadre, hérité de son passé de peintre.
Convoquant diverses techniques artistiques chères à son réalisateur (le dessin, la peinture, mais aussi les fameux « espaces miniatures »), le film ravira les exégètes. Quant aux autres, ils se sentiront probablement exclus, tenus à distance d'un film qui peine à dépasser son statut de curiosité vaguement culte. Et ne pourront que constater à quel point il a assez (mal) vieilli.
SPERMULA © 1976 FILM AND CO, RENOUVELÉ 2014 SYLVIE MATTON. Tous droits réservés.


